Les sept vies du pain / The 7 Lives of Bread

Published by Wednesday, September 4, 2013 Permalink 0
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de Jean-Philippe de Tonnac

Les sept vies du pain / The 7 Lives of Bread Click here for English version.

Si vous demandez à un artisan boulanger passionné par son métier de vous dire où s’origine sa passion, vous verrez que la plupart du temps, la réponse qui vous est faite a trait de près ou de loin au « mystère de la fermentation ». Saviez-vous que le pain est la résultante d’une fermentation alcoolique et que le boulanger est donc une sorte de fabricant d’alcool ? Comment cela ? Voyez la note *

Pas étonnant alors qu’il partage avec le vigneron ce goût des « corruptions », « dégradations », « transformations » qui fait d’eux des apprentis sorciers. Si le boulanger parle de « fermentation panaire », le vigneron évoque, lui, la « macération », quand, de son côté, le fromager mise sur l’ « affinage ». Mais qu’il s’agisse de fermentation alcoolique ou lactique, nous sommes bien rendu au lieu d’une transsubstantiation qui confère à ces artistes une aura sans pareille. Eux le savent et c’est là que se concentre l’essentiel de leur art. Boulanger, fromager, vigneron : même combat, celui des mutations et métamorphoses alimentaires.

Il est en même temps bien difficile de déterminer, dans la longue séquence de la panification, où se trouve le pain ? Le pain est, très probablement, cette grosse miche, ou cette baguette, ou cette ciabatta (Italie), ou ce pumpernickel (Allemagne), ou ce sangak (Iran), ou ce rugbrød (Danemark), ou ce Bammy (Jamaïque) qui sortent du four. Mais n’est-il pas aussi ce pâton posé sur le tour après façonnage ou laissé en repos dans le parisien ? N’est-il pas cette pâte laissée à fermenter dans le pétrin ou en bac (pointage en masse) ? N’est-il pas dans ces sacs de farine déposés le matin même par le meunier dans le fournil ? N’est-il pas, en amont, un grain qu’on écrase, voire même un grain qu’on sème ? Et en aval, un pain qu’on a laissé, intentionnellement ou non, sécher et qui termine ses jours dans une soupe épaisse dégustée, comme dans la chanson de Jacques Brel, avec des grands « slurp » ?

Ces Sept vies du pain voudraient vous offrir à déguster le pain à travers toutes les mues par lesquelles il passe avant d’être transformé à l’intérieur du corps du mangeur panivore. Le pain est donc à la fois le grain préparé en vue de l’opération de mouture (1) ; la farine qui en résulte (2) ; la pâte qui scelle la rencontre de la farine et de l’eau, rencontre qui démarre la fermentation (3) ; le pâton qui se détache de cette masse et entreprend son destin solitaire (4) ; le pâton saisi par la cuisson, autrement dit le pain au four (5) ; le pain que nous choisissons chez notre boulanger ou bien celui que nous faisons nous-même (6) ; et donc, enfin, le pain qu’on a laissé rassir ou alors celui qu’on a recuit (« bis-cuit ») afin de pouvoir le conserver. Typiquement le pain des marins, des nomades. On crédite les Grecs, grands navigateurs, de l’avoir inventé.

Nous nous promènerons le long de cette échelle. Si la fermentation est, bien évidemment, le cœur du métier de boulanger,  on peut considérer que toutes les étapes de la culture du blé, de la meunerie et de la panification participent de la transformation qui, nous le rappelle la Genèse (3 :19), s’accompagne du versement de larmes de sueur : « Tu gagneras [et tu feras] ton pain à la sueur de ton front ». Il faut donc en baver, en suer et symboliquement, il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi le pain est au prix d’une transformation : car c’est autant le pain qui se transforme que l’homme ou la femme qui le fait. En ce sens on dira que c’est, depuis dix mille ans, davantage le pain qui a fait l’homme que le contraire. Il faudra donc revenir sur cette affaire.

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* Les chaînes d’amidon (glucide complexe, constituant avec le gluten, l’essentiel de l’albumen ou amande farineuse, partie quantitativement essentielle du grain de blé) sous l’action des enzymes ou amylases, sont « dégradées » en simple glucose (C6H12O6) qui, à son tour, est transformé par les levures ou ferments en gaz carbonique (2CO2) + éthanol ou alcool éthylique (2C2H5OH) + énergie.

Jean-Philippe de Tonnac est éditeur du Dictionnaire Universel du Pain, publié aux Editions Laffont le 16 octobre 2010.

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