Les sept vies du pain : Pascal Auriat, boulanger à Laguiole

Published by Wednesday, May 4, 2011 Permalink 0
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Dictionnaire Universel du Painpar Jean-Philippe de Tonnac

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On associe traditionnellement le nom de Laguiole, petit village des hauts plateaux de l’Aubrac aveyronnais, à celui d’un restaurateur émérite, autodidacte génial qui a décroché en 1999 sa troisième étoile ainsi que la considération des gourmets du monde entier : Michel Bras. Dans le monde de la haute cuisine, il est regardé comme un touche-à-tout surdoué qui, dans son laboratoire arrimé au Puech du Suquet, invente sans patron, sans modèle et fait de nombreux imitateurs. On peut imaginer combien ceux qui ont fait une halte dans ses cuisines ont été profondément marqués par la fréquentation d’un homme qui donne l’impression d’habiter un temps différent du vôtre. Peut-être a-t-il été moine cistercien dans une autre vie, cherchant à introduire dans ses compositions culinaires des formulations secrètes inspirées par le nombre d’or. Lorsqu’on demande à Michel Bras ce qui l’inspire le plus dans son cheminement créatif, il répond : « C’est la photographie et la course à pied ! ». Autrement dit, l’ascèse et la contemplation. Pascal Auriat, boulanger à Laguiole, en tous les cas, transpire encore de cette fréquentation avec le cuisinier ascète-esthète. Lorsqu’il parle de ses années passées chez Bras, il évoque une sorte de « conversion » à ce qui aujourd’hui le retient durablement : l’alchimie des fermentations.

Les liens qui ont commencé à se tisser entre la restauration et la boulangerie, même encore un peu ténus, sont terriblement prometteurs. Imaginez qu’il a existé en France un temps où une carte 3 étoiles pouvait s’accompagner d’un pain médiocre, indigne de figurer dans ces empyrées de la gastronomie. Pour y remédier, les chefs ont installé dans leur cuisine, comme ce fut le cas de Michel Bras, Alain Passard ou Olivier Roellinger, pour ne citer que ceux-là, un petit fournil et commencé à panifier de manière sauvage. C’est un peu l’histoire de cette pâtisserie de restauration qui a pris son autonomie par rapport à la grande pâtisserie, enfin l’autre. Indépendantes, elles n’ont cessé de se nourrir et de s’influencer mutuellement. Peut-être viendra le temps où les fournils au sein des laboratoires des grands établissements gastronomiques communiqueront avec les fournils qu’abritent chacune de nos boulangeries artisanales. Une autre façon pour un chef cuisinier de relever le niveau de son pain est, bien évidemment, de passer commande chez un boulanger digne de ce nom. Des artisans comme Jean-Luc Poujauran en ont fait une spécialité.

Par vocation, Pascal Auriat, son CAP de cuisinier en poche, est venu à Laguiole tenter sa chance et Bras la lui donne en 1992. Premier poste : les légumes. Peut-être le cœur de l’offensive créatrice de Michel Bras. Marque de confiance. Après 2 saisons, une place se libère dans l’équipe dévolue à la pâtisserie et la micro-boulangerie. A cette époque, les trois fournées quotidiennes sont ensemencées avec un levain fait à partir de yaourt, une recette que Bras a mis au point et qu’Auriat va scrupuleusement répéter en même temps qu’il s’initie au monde de la pâtisserie aux côtés de Philipe Andrieu, lequel poursuivra chez Fauchon et Ladurée dont il est aujourd’hui le Chef Exécutif Pâtissier. Autant dire qu’Auriat, entre Bras et Andrieu, est à bonne école.

Pascal Auriat entre Michel et Sébastien Bras au Mazuc (première implantation à Laguiole)

La pâtisserie de restauration appelle immanquablement son complément. Pascal Auriat sent la nécessité de parfaire sa formation et quitte, il fallait oser, son mentor pour aller passer deux années avec Pierre Hermé chez Ladurée qui vient d’ouvrir sur les Champs-Élysées. La famille Holder, fameux boulangers, a racheté la célèbre maison créée en 1862 par Louis Ernest Ladurée, ancien minotier. Jeux des chaises musicales. Le meunier Ladurée ouvre une pâtisserie salon de thé rachetée, un siècle plus tard, par un boulanger. Un cuisinier formé par un autre cuisinier à la pâtisserie, délaisse les hauts fourneaux de l’Aubrac pour s’essayer au petit et grand boulet sur les Champs. Les aventuriers gastronomes sont des passes-murailles.

Pourtant Auriat revient à Laguiole en 1999, rappelé par Bras au poste de second chef pâtissier. Le restaurant vient d’obtenir sa troisième étoile et doit faire face à un afflux de visiteurs. le travail ne manque pas. Les horizons non plus. Michel et son fils Sébastien acceptent la proposition de créer une antenne au sein de l’hôtel Windsor d’Hokkaido, au Japon. Auriat est du voyage. Il se trouve qu’Eric Kayser, compagnon boulanger aujourd’hui à la tête de plus de 60 boulangeries réparties sur tous les continents, s’est posé lui aussi dans l’hôtel où il a ouvert un fournil. Les trois hommes se rencontrent et causent fermentation. Le vieux yaourt de Bras plaît modérément à Kayser qui lui conseille un levain liquide qu’il a patiemment mis au point. Dans l’univers des fermentations, Kayser en a à revendre et Bras se laisse convaincre.

De retour au bercail aveyronnais, Auriat se met à la nouvelle école du pain fermenté sur levain liquide. Et comme chaque fois qu’un pâtissier met la main à la pâte, il la laisse dedans. Le pain le passionne même si le passage du yaourt au levain de Kayser ne se fait pas en un jour. Il aura fallu abandonner un levain six mois au frigo, par dépit, pour obtenir ce qu’il cherchait en vain. Un bon starter pour ensemencer ses pétrissées. Installé à son compte avec Anne, rencontrée chez Bras, Pascal met ses formules magiques au point à partir d’un levain de froment et de seigle des terres d’Auvergne livrés par les moulins Antoine. Il dit de lui que son parcours de cuisinier, pâtissier et boulanger chez Bras lui a fait privilégier le gustatif. L’esthétique boulangère par le goût. Ça pourrait être un slogan. Il n’est pas si fréquent que le monde de la haute cuisine forme un boulanger. Lorsqu’il s’agit des cuisines de Michel Bras, on se doute un peu que le boulanger mérite l’attention des panophiles. Boulanger à Laguiole : sacré jolie enseigne, non ?

Anne & Pascal Auriat
1 place Auguste Prat
12210 Laguiole
Tel : 00 33 (0) 5 65 44 31 09
Site : http://www.maison-auriat.fr/
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2 Comments
  • Line
    May 5, 2011

    Pour avoir goûté le pain de Pascal, pour connaître l’homme depuis l’enfance, je ne peux que confirmer tout ce qui est dit ici. Pascal est un artiste du goût. Son pain, ses créations pâtissières, en sont la preuve.
    Merci de lui avoir consacré cet article.

  • Jean-Philippe de Tonnac
    May 5, 2011

    merci pour lui Line. ça va lui faire un grand plaisir. les boulangers ont adopté durant des siècles pour des raisons socio-économico-politiques un profil bas. je sais que cette profession en son entier, celle qu’on appelle la “filière blé-farine-pain” est en manque de reconnaissance. à une époque où quelques boulangers font leur boulot et proposent du bon pain, il ne faut pas manquer l’occasion de le leur dire.

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